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27.02.2015
Prise de parole

La laïcité, par André Comte-Sponville, philosophe, écrivain, enseignant, membre du FondaCtion

La laïcité n’est ni l’athéisme ni l’irréligion, encore moins une religion de plus. Elle n’est pas une croyance, ni une incroyance, mais une volonté : celle de vivre ensemble, pacifiquement et librement, quelle que soit la religion ou l’irréligion des uns et des autres. Cela suppose une loi commune, qui ne soit pas celle de Dieu – puisque tous n’y croient pas, ni tous les croyants au même – mais celle du peuple souverain. C’est en quoi démocratie et laïcité vont ensemble. Si le peuple est souverain, il est exclu que Dieu, politiquement, le soit. Cela n’empêche évidemment pas les individus de pratiquer librement leur religion, s’ils en ont une, ou plutôt c’est ce qui leur en garantit le droit. Un État laïque, parce qu’il n’a pas de religion, n’en impose ni n’en interdit aucune. Il reconnaît la liberté de culte, comme le droit de les récuser tous. Il protège la liberté d’opinion et d’expression, dans les seules limites prévues par la loi. Il n’est pas contre les religions ; il est indépendant vis-à-vis d’elles, comme elles le sont vis-à-vis de lui. Tel est le sens, dans notre pays, de la loi de 1905, qui opère la séparation des Églises et de l’État. L’Église catholique, qui s’y était d’abord vivement opposée, a fini par s’y rallier, comme aujourd’hui la plupart des institutions religieuses. C’est une grande victoire pour les laïques, sans être pour autant une défaite pour aucun démocrate. Il est peu de lois, en France, qui fasse l’objet d’un tel consensus, et c’est tant mieux. Loi de tolérance et de paix. La laïcité n’est pas le contraire de la religion. Elle est le contraire, indissociablement, de la théocratie (qui voudrait soumettre l’État à une religion), du totalitarisme (qui voudrait soumettre les consciences à l’État), et du fanatisme (qui voudrait s’imposer par la violence). Trois raisons de la protéger, comme la prunelle de nos yeux !
« Et dans le sport ? », demandera-t-on. La réponse minimale est la suivante : le sport fait partie de la société ; il doit donc respecter ses lois. Mais qui ne voit que le monde sportif peut et doit aller au-delà ? Le sport, quoi qu’on en ait dit, n’est pas une religion (les prétendus « dieux du stade », s’il fallait prendre l’expression au sérieux, ne seraient que des idoles, aussi trompeuses que toutes). Un stade n’est ni une église, ni une mosquée, ni une synagogue, ni un temple. Une compétition n’est pas une messe. Seule l’humanité s’y donne à voir, à contempler, à admirer. Communion ? Confrontation ? L’une et l’autre, mais tout humaines, et quelles que soient bien sûr la religion ou l’irréligion des compétiteurs ou spectateurs. C’est en quoi les valeurs du sport, à les considérer en elles-mêmes, sont essentiellement laïques ou – cela revient au même – humanistes. C’est vrai en particulier de celles que le Fondaction du football entend promouvoir : passion, respect, engagement, tolérance, solidarité… Le sport n’est pas seulement un divertissement ; il a aussi des vertus éducatives, intégratives et citoyennes. La compétition et l’égalité peuvent et doivent aller ensemble (il faut que tous aient les mêmes droits, pour que le meilleur gagne), comme l’émulation et la fraternité. École de vie et de citoyenneté, spécialement pour les plus jeunes. « Celui qui croit au ciel, celui qui n’y croit pas », comme disait Aragon, sur un terrain de foot ont les mêmes droits, les mêmes devoirs, comme les citoyens dans la Cité. Comment les laïques pourraient-ils ne pas s’intéresser au sport, au moins dans sa fonction sociétale ? Comment les sportifs pourraient-ils s’exempter de la laïcité ?
 

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